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Qui sont les manifestants de Pegida?

Manifestation de Pegida, à Dresde en Allemagne le 12 janvier 2015. Devant l'ampleur croissante du mouvement islamophobe, Angela Merkel avait appelé à le boycotter en décembre dernier. PHOTO : ©Daniel BISKUP/LAIF-REA

En octobre dernier, lorsqu'un repris de justice de 41 ans organisait à Dresde, via Facebook, une manifestation contre l'islamisation en Allemagne, il n'imaginait pas que son appel donnerait naissance à un grand mouvement populiste européen : les " Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident " (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, Pegida). De quelques centaines au départ, ils étaient plus de 25 000 à défiler dans la capitale saxonne le 12 janvier dernier lors de la dernière Montagsdemo ou " manifestation du lundi. " Si des vagues énormes de contre-manifestants, qui ont surgi ailleurs de Cologne à Berlin, ont vite freiné l'ardeur des " pegidistes ", à Dresde en revanche le mouvement n'a cessé de gagner du terrain. Il est plus que jamais au cœur de l'actualité depuis que la police, à la suite de menaces d'attentat visant l'un de ses organisateurs, l'a contraint à annuler la 13e Montagsdemo prévue le lundi 19 janvier.

Loin du miracle économique allemand

Qui sont ces " Patriotes européens" ? Pour tenter de les comprendre, il faut aller à Neukirch, par exemple, en pleine campagne saxonne, au cœur de l'ancienne République démocratique allemande (RDA). Dans la petite ville de 5 000 habitants, frontalière avec la République tchèque, le taux de chômage approche les 15 % et on s'y sent loin du " miracle économique allemand ". L'annonce de l'arrivée en avril 2014 de 50 demandeurs d'asiles a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Les gens ont peur, et pour le maire, Gottfried Krause, cela se traduit " émotionnellement par beaucoup d'agressivité ". " Ce dont on a besoin, c'est du dialogue ", renchérit-il. Karin Mross, brodeuse à Neukirch, dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : " Dans une grosse ville on ne s'en apercevrait pas, mais ici? Le fossé est trop profond. "

Un phénomène d'Allemagne de l'Est

" Pegida c'est fondamentalement un phénomène de l'Allemagne de l'Est ", explique Werner Patzelt, politologue à l'université technique de Dresde. A ses yeux, la présence de quelques crânes rasés et néo-nazis est inévitable dans cette région où le Parti national-démocrate (NPD) allemand, est bien implanté. " Mais Pegida n'est pas un mouvement fasciste. C'est plutôt un véhicule pour classes moyennes - petits commerçants, artisans - pour exprimer leur désarroi vis à vis d'une classe politique qui les écoute de moins en moins, notamment sur des thèmes chauds comme l'immigration qu'ils jugent " incontrôlée " ou sur l'Euro. Ils sont en majorité issus non de Dresde, la capitale Saxone, mais de villes et de villages avoisinants ; souvent ce sont d'anciens électeurs conservateurs déçus. " Depuis que le parti d'Angela Merkel gouverne en " grande coalition " avec les sociaux démocrates du SPD, il n'a cessé de se " social démocratiser ". Ce virement à gauche laisse les électeurs de l'aile droite du parti en suspens.

Aujourd'hui le parti AfD est considéré comme partenaire naturel de Pegida

Les mécontentements diffus, mais profonds, se sont traduits par l'entrée fulgurante du parti eurosceptique Alternative für Deutschland (AfD) aux parlements régionaux cet automne. En Saxe d'abord, puis à Brandebourg et en Thuringe, trois Länder de l'ex RDA, jusque-là dominés par le parti chrétien démocrate (CDU). Lorsque, après la chute du Mur de Berlin il y a 25 ans, les Allemands de l'Est avaient été aux urnes libremement pour la premiere fois depuis 1932, ils avaient donné leur confiance à l'ancien chancellier Helmuth Kohl. Car le parti chrétien démocrate leur promettait ce que beaucoup à l'époque jugeait impossible : une unification rapide, et sans compromis, y compris sur le plan économique. Depuis, la CDU avait largement maintenu son hégémonie sur les nouveaux Länder. Aujourd'hui l'AfD, qui est en faveur de la sortie de l'euro, et prône des politiques conservatrices, notamment en matière d'immigration et de sécurité, est considéré comme partenaire naturel de Pegida. Dans ce couple Pegida-Afd, on reconnait les tendances populistes des mouvements comme le Tea party aux États-Unis, le Front National en France, et l'UK Independance party (UKIP) en Angleterre.

Premier pays d'accueil en Europe

L'Allemagne est première terre d'immigration en Europe. Et si le nombre de ses citoyens musulmans est en hausse, à Dresde ils ne représentent que 0,3 % de la population, contre plus de 10 % à Cologne. Après la Seconde Guerre Mondiale, la République fédérale d'Allemagne (RFA) a accueilli des millions de " déplacés " d'Europe de l'est, des populations d'origine allemande venant des pays de l'ex-Union Soviétique ainsi qu'un flux important de citoyens de l'ex-Yougoslavie. Par ailleurs, la main-œuvre turque et italienne a aidé le pays à se redresser. Mais, le communisme a de son côté coupé l'Allemagne de l 'Est du monde et de l'immigration. Le tournant s'est effectué au début des années 2010 : alors que de nombreux réfugiés sont arrivés en l'Allemagne, notamment à la suite des conflits en Iraq et en Syrie, le pays est devenu la destination numéro un des demandeurs d'asile. Lorsque l'on frappe aux portes des petites villes de Saxe, elles sont mal préparées et l'accueil est souvent glacial.

C'est plutôt une manière d'exprimer un mécontentement de fond

" Il n'y a jamais eu de signal clair. Il faut qu'on accueille des demandeurs d'asile, mais il n'y a pas de discussion, pas de rencontres interculturelles ", estime Veselin Povokiv, un bibliothécaire originaire de Bautzen, une ville de 40 000 habitants située à une soixantaine de kilomètres de Dresde. " Les gens ont été pris de court. " Si les polémiques autour des foyers pour réfugiés mettent au jour un racisme latent dans certaines régions des nouveaux Länder, " je ne pense pas qu'il y ait une idéologie extrémiste derrière Pegida. C'est plutôt une manière d'exprimer un mécontentement de fond. Les gens disent: " nous, on est mal payé, et eux, les réfugiés, on leur donne tout alors qu'ils ne travaillent pas ", souligne le bibliothécaire.

Clivage Est-Ouest

Pour Frank Richter 1, directeur du centre régional d'éducation civique de Saxe, Pegida met en évidence le clivage est-ouest qui continue à diviser l'Allemagne. " Pegida de Saxe c'est différent de Pegida à Cologne ", précise-t-il. Il prône le dialogue avec Pegida, avec l'idée qu'il faut comprendre les origines sous-jacentes des craintes, souvent diffuses, des gens, et y répondre plutôt que de les balayer. " Depuis 25 ans les gens vivent un cataclysme " explique-t-il. " Vingt-cinq ans, ce n'est pas long pour comprendre la démocratie, l'accepter, la mettre en pratique ".

Pour eux, la priorité est la politique d'immigration

En décembre, Angela Merkel appelait les allemands à boycotter Pegida, expliquant que ce mouvement pouvait " propager la haine. " Pegida, lui, refusait de parler à la presse. Mais, devant l'ampleur et la persistance du mouvement, la classe politique est bien obligée de prendre le mouvement au sérieux. " Il y avait des sujets tabous, mais aujourd'hui, au moins, on en parle," se félicite Kathrin Oertel, un des porte-parole de Pegida. Dimanche 18 janvier, elle s'exprimait à la télévision et le lendemain elle donnait une conférence de presse. Pegida, ce mouvement populiste qui, il n'y a pas si longtemps qualifiait la presse de Lügenpresse (" tous des menteurs ") se rend compte qu'il a besoin des medias pour poursuive son but, de bousculer les partis politiques et de provoquer des discussions. Pour eux, la priorité est la politique d'immigration. D'ailleurs certains représentants politiques se disent à présent prêts au dialogue.

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