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Danse : les métamorphoses de François Chaignaud en 4 costumes extravagants

Le danseur et chorégraphe français n'a jamais caché son amour pour les transformations extrêmes. A l'occasion des représentations de sa dernière pièce au CND, il revient sur l'importance du vêtement dans son processus créatif à travers ses tenues de scène les plus marquantes.

Qu'il soit juché sur des échasses dans Romances Inciertos, un autre Orlando ou sur des talons aiguilles dans Radio Vinci Park ; nu dans Duchesses ou paré de costumes loufoques, divers et variés avec l'usage de fourrures, latex, cristaux, grelots, godemichés, plumes, perruques... le chorégraphe et danseur François Chaignaud n'en finit pas de se métamorphoser dans chacun de ses spectacles. Pour lui, loin d'être un art spéculatif du mouvement, la danse permet l'invention d'un corps comme si celui-ci représentait un chantier : " Il faut être attentif et vigilant au type d'énergie, de coordination de postures que le costume peut permettre ou non. " Même s'il ne confectionne pas lui-même ses costumes, c'est bien lui qui les choisit. Portrait de François Chaignaud, à travers ses tenues de scène dans quatre de ses créations.

Думи мої - Dumy Moyi (2013)

" Pour mes trois costumes dans Dumy Moyi, je me suis inspiré des cérémonies religieuses de Theyyam auxquelles j'ai assistées en Inde dans le Kerala. Là-bas, les costumes sont réalisés dans des proportions extravagantes avec de nombreux matériaux naturels et périssables tels que des morceaux de bois et des plumes, les maquillages de corps sont très sophistiqués et permettent une véritable transformation. J'étais stupéfait en observant ces danseurs en Inde car ils semblaient coincés dans leurs costumes et, de cette contrainte, surgissait une danse puissante et précieuse. J'ai donc fait appel au couturier Romain Brau pour qu'il élabore mes tenues de scène. L'idée n'était pas de reproduire ces chefs-d'oeuvres du Kerala mais plutôt de puiser dans leur démesure pour inventer des costumes inédits et les adapter au contexte de mon spectacle.

Je lui ai indiqué mon souhait d'être paré d'éléments naturels et artificiels comme le casque composé de faux cheveux, surmonté d'une mâchoire de requin et de différents éléments métallisés, que je porte au début de la pièce. Il a confectionné un costume qui me fait paraître beaucoup plus grand et un autre dans lequel je suis au contraire encastré, avec un grand disque suspendu à ma taille. Je ne voulais pas qu'il se préoccupe de la maniabilité du costume, ni du fait qu'il pouvait me gêner, me ralentir ou être dangereux. À la fin du spectacle, je suis également affublé d'une planche gigantesque, constituée de matériaux végétaux qui mesure environ deux à trois mètres de hauteur et qui est soutenue sur mes épaules comme un sac à dos. En me penchant, cette planche me permet de toucher le public sans m'approcher. "

Radio Vinci Park (2016)

" Dans cette création qui met en scène une lutte érotique et acharnée entre un motard et mon personnage, le costume dans cette pièce est fondamental. Je porte des escarpins Dior, assez hauts, qui en complément des cheveux blonds sexualisent ma silhouette. Mes chevilles et mes poignets sont ornés de noisettes, montées en bracelets sur des élastiques que Théo Mercier (artiste plasticien avec qui il a conçu la pièce NDLR) a rapporté du Mexique. La mise en scène du jeu entre le motard et moi, est animée par tous les sons que je produis avec le costume : les ongles, les talons, ces petites noisettes, qui jouent pour moi un rôle essentiel car ils créent tous de la musique. Beaucoup de gestes sont donc déterminés par les chaussures, les grelots, le peignoir, la posture, la manière de frapper les pieds, la manière de bouger les poignets... "

Romances Inciertos, un autre Orlando (2017)

" Les trois costumes que j'endosse dans cette pièce sont intrinsèquement liés aux personnages que j'incarne : La Doncella Guerrera - la demoiselle guerrière, le San Miguel de Garcia Lorca et la Tarara, la gitane andalouse. Pour le deuxième tableau, lorsque j'interpète San Miguel,Nino Laisné (artiste plasticien avec qui il a crée la pièce - NDLR) a ramené d'un village espagnol des échasses que les jeunes hommes adoptent lors des fêtes en l'honneur de Marie Madeleine. Je les utilise comme une technique de pointes de danse classique. Ensemble, on a inventé une figure fictive, qui n'existe nulle part ailleurs et qui rappelle différentes musiques espagnoles traditionelles.

Les échasses dans ce spectacle jouent un rôle déterminant dans les gestes que je peux faire ou pas, elles induisent aussi des ressorts psychologiques : la fierté d'être aussi grand, de traverser le plateau très glissant. Elles impliquent aussi une grande difficulté à rester en équilibre. On se sent très fragile et vulnérable. Pour le troisième tableau, je joue le rôle d'une gitane en portant notamment une perruque de cheveux noirs et en étant perché sur des talons très hauts, en courbe de Walter Steiger. C'est un défi parce que ce sont des chaussures très fatigantes et plutôt difficiles à manier. Les instabilités, la maladresse que provoquent ces talons coïncident avec ce rêve de glamour que suggère la figure de la gitane. Lorsqu'à la fin, j'apparais avec un pantalon de toréador et que je conserve l'usage des talons et la coiffure de gitane, on assiste à une confusion des genres, le thème central de la pièce. "

Symphonia Harmoniae Caelestium Revelationum (2017)

" Dans cette création, Marie-Pierre Brébant (musicienne avec qui il a monté cette pièce NDLR et qui joue notamment du clavecin dans Radio Vinci Park) et moi-même interprétons l'oeuvre musicale d'Hildegard von Bingen qui date du XIIe siècle. Nous avons préféré réfléchir à la signification de la représentation de ce type de chants, de cette musique et l'illumination qu'elle nécessite. Cela nous permet d'éviter le cliché de l'image spirituelle. Pour cette création, on a choisi une tenue de marathonien, des shorty et des hauts moulants, comme pour aller faire un footing, à l'opposé du costume qu'on imagine porter pour chanter des louanges. Contrairement à mon désir d'endosser des costumes encombrants et contraignants comme dans le spectacle Dumy Moyi, je souhaitais ici un habit malléable, permettant une fluidité du corps, à l'image du rapport harmonieux entre le chant et la danse. Mais en général dans mes spectacles, je n'arrête pas de me métamorphoser ! "

A voir Symphonia Harmoniae Caelestium Revelationum, le 27, 28, 29 mars à 19h, CND, 1 Rue Victor Hugo, 93507 Pantin, 01 41 83 27 27, 10-15€. Radio Vinci Park, le 6, 7, 8 juin à 21h à la Villette - Espace Périphérique, 211 Avenue Jean Jaurès, 75019 Paris, 01 40 03 75 75, 15€.

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