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Quand la nature reprend ses droits, entre romantisme et apocalypse

La photographe Amélie Labourdette, lauréate du Sony World Photography Awards en 2016 pour "Empire of Dust", présente cette étonnante série à la galerie Thierry Bigaignon. Pour Télérama.fr, elle revient sur l'histoire de ces étranges vaisseaux fantômes.

Vision apocalyptique, temps suspendu, sculptures plantées dans la nature : les images d'Amélie Labourdette racontent l'osmose romantique entre ruines et nature abondante, comme une version moderne du peintre allemand Caspar Friedrich.

Fascinée à l'origine par les répercussions de la crise financière de 2008 sur le paysage, Amélie Labourdette réalise une série de dix-huit photographies en 2015 en Italie dans les régions de la Sicile, Calabre, Basilicate et Pouilles. Elle se focalise sur les ecomostri, terme péjoratif emprunté par les journalistes italiens désignant " des monstres écologiques qui détruisent le paysage ", bien que cette définition ne lui convienne pas : " Je n'ai pas cette même vision que les journalistes italiens parce que ces constructions inachevées sont, selon moi, des espaces de réinvestissement de la nature. "

Pendant un mois, la jeune photographe, passée par les Beaux-Arts de Nantes, a sillonné l'Italie du sud avec son compagnon de route, Wilfried Nail, auteur de la pièce sonore dans l'exposition Empire of Dust, pour photographier ces monuments inachevés qu'elle avait soigneusement au préalable sélectionnés. " Je n'ai jamais été dans l'exhaustivité parce que je souhaitais qu'ils aient une forme, une force plastique " indique Amélie.

Empire of Dust # 13, Gravina in puglia, Les Pouilles.

© Amélie Labourdette, courtesy de l'artiste et de la Galerie Thierry Bigaignon

Ces architectures en béton, datant des années 50, deviennent des ruines avant même d'être investies par la vie. Une harmonie singulière se glisse alors entre ces ruines et la nature fleurissante, contraste omniprésent dans les photographies, cohabitation symbolique entre la mort et la vie.

" le chant des grenouilles s'est amplifié grâce à cette construction inachevée "

" La digue italienne appelée La Diga di Blufi m'a impressionnée parce que c'est énorme et imposant dans le paysage. Là-bas, nous avons rencontré un anthropologue qui finissait une thèse sur cette digue, il nous racontait que depuis sa construction, le biotope de ce lieu s'était transformé : les chants d'oiseaux et de grenouilles se sont amplifiés grâce à la forme de cette construction inachevée, comme un amplificateur de sons.. "

Empire of Dust # 17 Blufi, Sicile.

© Amélie Labourdette, courtesy de l'artiste et de la Galerie Thierry Bigaignon

Barrage, tribune, hôtel, villa fantômes...ces constructions inachevées sont autant publiques que privées. Alors que certaines reflètent l'histoire politique du territoire italien, liée à une mauvaise gestion de l'argent public, d'autres ont servi au blanchiment d'argent.

Mais pas question pour Amélie de les distinguer : pour elle, c'est au spectateur de faire appel à son imagination : " un glissement d'identité, indéterminé, indéfini s'opère grâce à leurs inachèvements, permettant au spectateur de faire sa propre identification ". Une mémoire collective, celle du lieu, et individuelle, pour chacun d'entre nous, qui, donc on l'espère, ne tombera pas, elle, en poussière !

Empire of Dust # 01, Giarre, Sicile.

© Amélie Labourdette, courtesy de l'artiste et de la Galerie Thierry Bigaignon

A VOIR : Jusqu'au 23 décembre, galerie Thierry Bigaignon, 9 rue Charlot, 3e. Entrée libre.

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