Témoignage: Helmut Morsbach avait 25 ans quand il s'est fait arrêter par la Stasi, en 1972.
Ils sont venus tôt, un matin grisâtre de février 1972. Deux officiers de la police politique de l'ex-République démocratique d'Allemagne - la Stasi - attendent Helmut Morsbach, 25 ans, devant son domicile berlinois. "Je ne peux pas venir avec vous de suite, il faut que j'emmène ma fille à la crèche avant", les prévient-il. "Nous revenons dans une heure", lancent sèchement les hommes de la Stasi en guise de rendez-vous à ne pas rater.
Quatre décennies plus tard, le souvenir est encore vif et douloureux. "Être obligé de déposer mon enfant à la maternelle, lui dire au revoir et de ne pas savoir si et quand je vais le revoir...", se remémore Helmut Morsbach. Mais le jeune étudiant d'alors ne peut que s'exécuter. À peine rentré chez lui, il est "invité" à suivre les agents vêtus d'uniformes grisâtres. Ensemble, ils traversent l'Alexanderplatz, la place principale de Berlin-Est, embouteillée, comme tous les matins. Direction : l'office de la police. Là, Helmut Morsbach est interrogé non-stop, de 8 heures du matin à 22 heures.
Une déposition "corrigée"
Il est enfermé dans une petite pièce sans fenêtre. Aucune nourriture ne lui est proposée. Ce n'est que tard dans l'après-midi qu'on lui demande, pour la première fois, s'il veut boire. Les questions fusent : ses opinions politiques sont passées au crible tout comme celles de ses collègues d'université. L'ombre de deux de ses confrères partis pour l'Ouest plane sur l'interrogatoire. À la fin de cette interminable journée, Morsbach doit signer une déposition. Au moment d'apposer sa signature, il réalise que les agents ont modifié ses déclarations. Il parvient à imposer quelques adaptations, paraphe le document et retrouve la liberté. Les 300.000 Est-Allemands interpellés comme lui par la Stasi sous l'ex-RDA n'ont pas tous eu cette chance. Certains ont fini sous les verrous...
Pour autant, il faudra des années à Helmut Morsbach pour confier les détails de cette sombre journée de février 1972 à ses proches. Et encore, le pire reste à venir. Une semaine après son arrestation, le jeune homme est officiellement exclu de toutes les universités de la RDA. Malgré cinq années d'études, il ne pourra décrocher de diplôme.
Revanche
Mais la chance sourit malgré tout à Morsbach. Il réussit à se faire embaucher par la DEFA, le service chargé des archives cinématographiques de la RDA. Une fonction dont il se servira pour exercer une tout autre activité... En cachette, il écrit des papiers critiques sur les films qu'il archive. Pour brouiller les pistes, il découpe ses articles et les envoie par petits morceaux à des amis vivant à l'Ouest. Ces derniers se chargent de les reconstituer et de les publier sous le pseudonyme "Heinz Klemm" dans Filmdienst , un magazine allemand qui existe encore.
Avec la fin de la RDA, de nouvelles perspectives professionnelles s'ouvrent pour Helmut Morsbach. Promu par les nouvelles autorités de l'Allemagne unifiée, il prend la direction de la fondation de la DEFA. Que reste-t-il aujourd'hui de ces humiliations ? Une trace indélébile pour Morsbach. Et une déposition qui a certainement terminé parmi les 1.600 sacs d'archives broyés par la Stasi, à la chute du Mur. Il faudra plus d'un siècle et demi pour les reconstituer.
Foto © Rainer Spitzenberger