Le Liverpool Football Club s'est déplacé ce mardi en Serbie pour y affronter l'Étoile Rouge de Belgrade. Entre déplacement chaotique, branches de supporters étrangères et déception, Hadrien vous raconte son déplacement dans la capitale serbe.
Let me tell you the story of a poor boy...N'en déplaise aux plus simples d'esprit parfois invités à prendre la parole dans les médias, il n'existe de tâche plus ardue que celle de supporter un club étranger. Bien malheureux soit celui qui tombe amoureux d'un club loin de ses terres natales, qu'il n'aura pas la chance de voir jouer chaque week-end entouré d'autres supporters. Nous ne parlons pas ici des amateurs de football ayant galvaudé le terme de "supporter" en se prenant en sympathie pour une équipe étrangère à la vue de ses bons résultats avec un intérêt aussi versatile que peut l'être la bonne forme d'une équipe de football. Non, ici nous parlons de supporters dédiés corps et âme à leur club, et pour qui assister à un match à domicile avec d'autres personnes partageant sa passion est déjà un sacerdoce. Les partisans du "support your local team" érigeront toujours en bannière la facilité de s'éprendre d'un club étranger. Est-ce réellement le cas ? Le supporter de Liverpool coincé en banlieue parisienne est-il vraiment plus chanceux que celui qui peut assister aux matchs de son équipe en quelques arrêts de métro, sous prétexte qu'il a eu le malheur de tomber amoureux d'un club possédant un palmarès glorieux? Ne partagent-ils pas au final le même amour de leur club, à quelques centaines de mètres où à plusieurs heures d'avion ? Fort heureusement, certaines personnes ont décidé que l'éloignement géographique de leur seul et unique club ne saurait avoir raison de leur passion. L'union faisant la force, des structures naissent : la Liverpool French Branch, comptant aujourd'hui presque 800 membres, la Serbian Branch, le LFC Rômania... Presque chaque pays du monde compte en son sein des supporters ayant monté, sans aide aucune des associations pour permettre à chacun de vivre sa passion ensemble, d'aller à Anfield, et de participer aux déplacements. C'est au sein de ces groupes que j'ai pu rejoindre Belgrade et assister au match de mon équipe en poules de Ligue des Champions très loin de ma Seine-Saint-Denis natale.
... who was sent far away from his home...Il est 6h du matin lundi. Je suis dans le froid de la capitale roumaine où je réside actuellement. Une voiture s'arrête, immatriculée LFC comme il est possible de le faire ici en Roumanie. Je rencontre mes différents compagnons de voyage. En effet, avec ces neufs autres membres de la branche roumaine des supporters de Liverpool je vais parcourir 592 kilomètres en voiture jusqu'à Belgrade. N'est-ce pas là le propre des déplacements ? Conduire de longues heures, s'arrêter en route, profiter de la gastronomie serbe exquise pour celui qui ne se plie pas aux règles du véganisme ? Tout l'esprit des matchs à l'extérieur se retrouvait dans ces trois voitures en partance pour Belgrade. En effet, ce match était une opportunité inespérée pour les roumains : pouvoir voir Liverpool évoluer en Ligue des Champions à moindre coût. De nombreux membres ont tenté d'obtenir des places, mais malheureusement seulement une dizaine d'entre elles ont pu profiter aux membres roumains, malgré la volonté des autres branches d'aider ces derniers envoyer le maximum de supporters possibles. Les routes roumaines et serbes ne sont pas destinées à des trajets rapides, et traînant en route, nous découvrons Belgrade en début de soirée. À peine le temps de poser nos affaires dans notre appartement du centre-ville, que nous sommes déjà repartis en vadrouille. Le but de la soirée : retrouver les membres de la Liverpool French Branch et boire un verre avec eux.
Les très demandés tickets d'entrée pour le matchLe club avait prévenu de la tension autour de ce match : comme à Rome l'année dernière (que je vous avais déjà relaté en tribune visiteurs ici), il était très déconseillé aux supporters de Liverpool de porter les couleurs de leur club et de se revendiquer clairement comme supporter dans la ville. Les supporters serbes ne vouent pas un amour immodéré aux anglais, et une frange minoritaire des ultras de l'Étoile Rouge se sont déjà montrés violents face aux supporters des équipes visitant leur stade par le passé. "Low profile" était le mot d'ordre. En rentrant dans le bar irlandais "The Three Carotts" du centre de Belgrade, nous sommes accueillis par les chants des supporters français de la section Rhône-Alpes. La passion semble avoir dépassé toutes les recommandations de sureté, et tout le monde profite du cadre très plaisant de ce bar pour passer un bon moment en échangeant sur le club et le match de demain. Finalement le pub ferme, et les supporters de Liverpool rentrent discrètement dans leurs habitations en attendant le match du lendemain, profitant d'un repos bien mérité.
...they said our days were numbered, we're not famous anymore...C'est finalement le jour J. Si chacun reste très sobre dans ses démonstrations, le sourire est sur toutes les lèvres : Liverpool joue, et nous allons y assister. Durant la journée, le centre de Belgrade grouille de locaux occupés à leurs petites affaires ce qui nous permet de passer relativement inaperçu. Toutefois, il n'est pas difficile de déceler les nombreux supporters de Liverpool tout juste arrivés de la ville des Beatles : t-shirt et short alors que la température avoisine les dix degrés, la marque Transalpino surreprésentée et les coupes de cheveux aléatoires ne tromperont pas l'observateur avisé. Tout est très calme, et nous en profitons pour faire un peu de tourisme et trouver l'écharpe du match au sein du magasin de l'Étoile Rouge. Nous sommes à quelques heures du match, et le square réservé aux supporters de Liverpool est très calme. En effet, celui-ci ne se prête pas à un tel attroupement, et les groupes de supporters se répartissent dans les bars alentours. Une supportrice russe cherche désespérément une place pour le match depuis la veille. Ayant la possibilité de l'aider au dernier moment, celle-ci m'offre pour me remercier une petite bouteille de vodka qui sera partagée avec les autres supporters. L'ambiance est extrêmement chaleureuse, et aucune crainte ne transparaît concernant notre sécurité lors de ce match.
Les bus commencent à être affrétés, et le bar en face du quai d'embarquement grouille en quelques minutes de supporters des Reds. Le nouveau chant sur Virgil Van Dijk reprenant les accords célèbres de la chanson "Dirty Old Town" de The Pogues résonne, et très rapidement s'installe cette ambiance si particulière. Celle que seuls les supporters de Liverpool savent exporter dans toute l'Europe. Celle qui fait que l'on soit à Kiev, à Paris, à Rome ou à Belgrade, on se sent à Liverpool. Les scouses prennent les bus en direction du stade, entonnant une nouvelle chanson bien inconnue des supporters étrangers comme nous. Nous ne serons jamais des enfants de Liverpool. Nous ne grandirons jamais dans l'ombre d'Anfield. Mais en adoptant une attitude respectueuse envers ceux qui font notre club chaque jour, ces derniers nous offrent toujours en retour leur expérience et nous aident à porter au mieux les valeurs du club où que nous soyons.
Supporters du LFC attendant les bus vers le stadeLe trajet jusqu'au stade est assez long, plus d'une vingtaine de minutes. Si les chants emplissent les véhicules, l'entrée dans le stade est difficile. Seulement deux portes permettent d'accéder à la tribune visiteurs du stade Rajko Mitić, surnommé le "Marakana", et les supporters de Liverpool affluent tous au même moment. L'impatience et les besoins naturels se faisant pressants, les supporters commencent à entonner des " shitty ground, shitty ground, shitty ground... " mais l'entrée au stade se fera sans heurts. Le stade est assez ancien, et les travaux de rénovations d'il y a quelques années ne semblent pas avoir pris fin. Nous nous massons dans les tribunes, très proches des supporters locaux qui ne sont séparés de nous que par un filet de toile, gardé de notre coté par les stewards de Liverpool et par la gendarmerie serbe du coté des supporters de l'Étoile Rouge. Le stade est plein à craquer à quelques minutes du coup d'envoi. La tension monte.
But Scousers rule all Europe like we've always done beforeDepuis quelques minutes nous voyons s'agiter en tribune des sortes de grandes feuilles d'aluminium réfléchissantes de façon erratique. Mais ce n'est qu'à l'entrée des joueurs que tout fera sens. Une magnifique chorégraphie tenue par tout le stade débute, faisant apparaître plusieurs messages en serbe. Bien incapables d'en comprendre le sens, les supporters de Liverpool sont néanmoins admiratifs devant ce tour de force, symbole d'une culture ultra bien différente que celle de la Mersey. Les téléphones sortent, les enregistrements débutent et une salve d'applaudissements jaillit de cette tribune visiteurs. Moins fair-play que nous, les supporters de l'Étoile Rouge débutent un chant se répondant d'un virage à l'autre insultant notre club. Il est probable que d'autres chants aient eu la même vocation, mais la maîtrise du serbe dans la région de Liverpool reste encore beaucoup trop marginale pour que cela ai pu avoir une quelconque influence sur le match.
Dans cette ambiance très intense, le match débute. Et très rapidement, c'est l'inquiétude qui reprend le dessus. Liverpool ne joue pas bien, et le choix de Jurgen Klopp d'avoir titularisé Daniel Sturridge et Adam Lallana pose rapidement débat dans la tribune. Liverpool semble en dehors de son match, et se fait logiquement punir à la 22ème minute par Milan Pakov. Douche froide dans le parcage, alors que les supporters locaux manifestent leur joie en nous insultant copieusement. Sept minute plus tard, ce même Milan Pakov s'offre le doublé d'une très jolie frappe dans une défense de Liverpool totalement passive. Liverpool semble avoir oublié comment jouer au football, et se contente de phases de possession stériles conclues par de mauvais choix offensifs. L'entrée de Roberto Firmino à la mi-temps ne suffira pas, et Liverpool s'incline de deux buts ici à Belgrade. Là où beaucoup attendaient une victoire facile de Liverpool qui lui aurait presque assuré la qualification, l'Étoile Rouge s'est montrée bien plus désireuse de gagner et a su livrer le match nécessaire. Les supporters locaux restent pour le tour d'honneur de leur équipe, qui célèbre cette victoire comme un titre. En plus de la défaite, nous sommes bloqués dans le stade jusqu'à la sortie des derniers supporters locaux. Mais ceux-là ne souhaitent pas partir, et chanteront encore plus de quarante-cinq minutes après la fin du match.
Les joueurs de Liverpool ne sont pas venus nous saluer, ce qui est assez dommageable après un tel spectacle, leur frustration n'est pas inférieure à la nôtre. Néanmoins, nous offrirons un beau You'll Never Walk Alone avant de quitter le stade, et l'amertume de la défaite est rapidement remplacée par le plaisir d'être ensemble dans cette ville si lointaine de la Mersey, et même le supporter néo-zélandais à côté de moi venu expressément pour ce match ne semble pas totalement déçu. Les supporters se rejoignent en centre-ville pour manger et boire à la santé du club, que nous aimerons toujours indifféremment de ses résultats sportifs. Pour l'occasion, les supporters serbes de Liverpool nous ont convié au Casablanca Pub, leur antre. Ici se sont croisés les supporters de Liverpool venus de partout, profitant d'un match européen comme beaucoup d'autres suivront, mais qui m'a permis personnellement de découvrir des supporters extraordinaires venus du monde entier. Nous repartirons le lendemain, en profitant pour découvrir la Serbie et l'Ouest de la Roumanie sur notre chemin.
La vue depuis le parcage du Marakana.Supporter une équipe de football n'est pas une notion intimement liée à la géographie. Il est plus facile de découvrir une équipe qui est celle de nos parents, de notre famille, ou de notre ville. Ces supporters vouent un amour immodéré à leur équipe, et peuvent à travers de nombreuses actions oeuvrer en faveur de cette dernière. Mais il existe de nombreux supporters ayant choisi une équipe plus loin, et qui s'efforcent chaque jour de faire vivre les valeurs reconnues dans cette équipe chez eux, à l'extérieur et à chaque fois qu'ils foulent les travées de leur stade. Loin de devoir les condamner et les culpabiliser de ne pas avoir choisi leur club local, il serait bon de les écouter, et de reconnaître comme notion universelle faisant la distinction entre un supporter et un amateur de football la passion, et la fidélité qui en découle.