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Luxembourg-ville : Roosevelt-on-Sea

La place privilégiée réaccordée aux voitures dans le réaménagement du boulevard F. D. Roosevelt ne fait pas l'unanimité.

Luxembourg, malheureusement, n'est pas une ville côtière. Mais elle a sa vallée de la Pétrusse. Luxembourg ne donne pas sur l'océan, elle ouvre sur une mer dense de couronnes touffues de feuillage d'érables, de séquoias, de noyers et - comme un phare au milieu de tout cela - sur la tour-donjon de la Spuerkeess, notoirement méprise par les touristes pour la demeure enchantée du chef de l'État. L'allure majestueuse du pont Adolphe, plus à droite, embrassant sereinement la vallée de son arc, contribue-t-elle à nourrir ce type de visions romantiques ?


Jusqu'au début du 20e siècle, et avant le développement du quartier de la gare, avant la construction du siège de la BCEE, le versant faisant face à la place de la Constitution actuelle servait de cible aux tireurs membres de la prestigieuse société des arquebusiers. Ses pavillons, délocalisés plus tard au Val-Sainte-Croix, se dressaient à côté du petit parc en contrebas de la Gëlle Fra, à l'emplacement actuel du service d'éclairage de la ville.


Depuis, les Luxembourgeois ont appris à ne pas tirer sur les banques et la promenade verte imaginée par le paysagiste français Édouard André au 19e siècle est devenue un lieu de villégiature et de contemplation, qui après des décennies d'abandon n'a rien perdu de son charme, y compris admiré depuis le boulevard, voie de monuments et de sites culturels. La perspective qu'une galerie d'art nationale (voulue par Xavier Bettel lui-même) vienne un jour y élire domicile dans les locaux rénovés de l'actuelle Bibliothèque nationale confirme ce destin (même si la nouvelle ministre de la Culture, Sam Tanson, a laissé entendre qu'elle se distanciait de ces plans).


Par conséquent, l'annonce d'un réaménagement prochain du boulevard et de la place de la Constitution en " espace sans voitures " avait de quoi faire rêver. Jusqu'où l'audace du gouvernement allait-elle pousser la créativité ? Or, malheureusement pour certains, ces attentes furent douchées et ce que le ministre des Infrastructures et la bourgmestre de la Ville de Luxembourg présentaient la semaine dernière se situe bien en deçà de ce que l'on pouvait espérer.


  " Priorisation "


Comme l'a expliqué le ministre François Bausch, " si le boulevard Roosevelt laisse un peu de place au bus, il n'y en a quasiment aucune pour le vélo ". Les bus en effet ne circulent que dans un sens, en direction de la place de la Constitution. Pareil pour la voie réservée aux cyclistes, qui mène vers le quartier de la gare. Le ministre voudrait donc leur accorder " un rôle plus grand dans le cadre de l'arrivée du tram ". Cependant, peut-on parler de " priorisation " du transport en commun et des voies cyclables, comme le fait le gouvernement ?


Le projet prévoit en effet la mise en place de deux voies de bus, dans un sens et dans l'autre, et la transformation en piste bidirectionnelle de la voie cyclable existante, de manière à augmenter le " confort " et la " sécurité " des cyclistes et piétons entre la gare et le centre-ville, explique le ministre. Les arrêts de bus devant la cathédrale seront également réaménagés. Tous, les passages piétons et cyclables comme les arrêts de bus, seront en outre mis " en conformité avec les besoins des personnes à mobilité réduite ".


Plus en bas, un arrêt de bus supplémentaire sera mis en place à hauteur du café Independent. D'ailleurs, sur cette partie du boulevard, une autre modification s'impose : celle de l'îlot de verdure dont les arbres existants seront enlevés, mais qui sera replanté, même s'il sera moins large à l'avenir pour faire place à la nouvelle voie de bus, notamment.

Or, si cette partie du boulevard risquait de devenir encombrante, cela est moins lié à l'ajout d'une voie de bus et à l'élargissement de la piste cyclable qu'au fait qu'on y a gardé et même élargi les voies de circulation pour les voitures. Et ce des deux côtés de l'îlot comme sur toute la longueur du boulevard.


En chiffres, cela fait donc 2,13 m de trottoir, sur le côté de l'ambassade britannique, ainsi que 2 m de piste cyclable bidirectionnelle, 3,25 m pour la voie de bus et encore une fois 3,25 m de voie de circulation pour les voitures. De l'autre côté de l'îlot - du côté de la Cité judiciaire -, on compte 3,25 m de voie de circulation pour les voitures, le long de l'îlot de verdure (amputé de 1,30 m), 3,25 m de voie de bus et à côté, encore une fois, 3,25 m de voie de circulation pour les voitures. Si bien qu'arrivé à hauteur de la cathédrale, on a au final 6,50 m de voies de circulation pour les voitures contre 3,25 m pour le bus et 2 m pour la piste cyclable 

bidirectionnelle.


  Les Verts " pas à la hauteur "


Dans un communiqué intitulé " Réaménagement du bd Roosevelt : les contradictions des Verts luxembourgeois ", Déi Lénk Stad dénoncent ce maintien de la circulation automobile " au lieu de profiter de cette occasion pour réserver cet axe aux transports en commun et à la mobilité douce ". Et ce alors que " cet été, le Luxembourg a connu deux canicules " et que des " milliers de jeunes sont descendus dans la rue pour dénoncer la passivité de leurs aînés face au réchauffement climatique ".


Aux yeux de déi Lénk, " la communauté scientifique a multiplié les rapports alarmants et renouvelé son appel aux décideurs politiques de prendre des mesures énergiques pour éviter une catastrophe climatique. Le réaménagement du boulevard Roosevelt aurait pu être une occasion pour le gouvernement de montrer qu'il prend cette situation au sérieux ".

Si l'on a un peu du mal à suivre le raisonnement de Déi Lénk Stad et le lien qu'ils établissent entre la fermeture d'une voie aux conducteurs individuels et la lutte contre le réchauffement climatique, la place privilégiée réaccordée aux voitures dans le réaménagement du boulevard F. D. Roosevelt saute aux yeux - et oui, surprend dans la bouche d'un ministre vert sous couvert de " priorisation " des transports en commun et de la mobilité douce.


On a bien plutôt l'impression que la promotion de ces derniers ne sert plus depuis déjà longtemps la cause climatique, mais uniquement la bonne conscience individuelle et un certain " confort " bourgeois de celui qui a les moyens de se permettre de vivre dans la capitale et a décidé de profiter de ses charmes au maximum. En tout cas, faire du vélo en ville n'est plus ni une idée de gauche ni écologique, à partir du moment où cette idée vit détachée du contexte social et écologique dans lequel elle est née. Elle n'est plus alors que le cache-feuille de l'impuissance à bousculer les habitudes, de l'amollissement des Verts aussi, que seule égale leur ascension politique au détriment des partis traditionnels.


Pour Déi Lénk Stad, dans tous les cas, force serait de constater " qu'une fois de plus, les Verts luxembourgeois ne sont pas à la hauteur ". Pour la section luxembourgeoise de la gauche radicale, l'analyse est la suivante : " Officiellement il s'agirait de faciliter les livraisons vers le nouveau Centre commercial Royal Hamilius - gageons que l'accès aux parkings Knuedler, Hamilius et Saint-Esprit constitue la véritable motivation de ce choix, à l'encontre de toute autre considération d'aménagement urbain. " Et de rappeler que " l'extension des parkings Knuedler et Hamilius avait été soutenue par Déi Gréng lorsqu'ils faisaient encore partie de la majorité échevinale à Luxembourg-ville. Or d'un point de vue écologique, une telle décision est totalement aberrante : étendre les parkings en plein centre-ville, c'est y attirer plus de voitures ".


  Un large périmètre d'intervention


Comme le dit encore leur communiqué, pour le parti dans l'opposition, une seule solution se serait imposée, celle de " fermer cet axe, aujourd'hui totalement engorgé, aux voitures individuelles " et " réhabiliter du même coup ce magnifique lieu de promenade avec vue sur la vallée de la Pétrusse, option évidente en rapport avec la revalorisation projetée de la place de la Constitution ". Aussi, Déi Lénk Stad, " contrairement à Déi Gréng ", seraient " prêts à prendre les mesures qui s'imposent ". Parmi lesquelles une réduction systématique de l'espace dédié à la voiture en " circulation et stationnement au centre-ville ", comme de la vitesse maximale " à 30 km/h en ville ".


Pour ce qui est de la vallée de la Pétrusse et du réaménagement de la place de la Constitution, peu a transpiré. Sinon que l'État propriétaire du bastion Beck et la Ville de Luxembourg aimeraient y voir construire un pavillon d'accueil pour les casemates et également établir une liaison par ascenseur entre la Ville-Haute et la vallée de la Pétrusse. Un concours sera lancé pour choisir un projet qui devra prendre en compte " la liaison avec la Uewerstad, l'hypercentre, tous comme les rues Philippe II, Chimay et de l'Ancien Athénée ", où se situent également les accès au parking Knuedler, les voies de livraisons et le Royal Hamilius (aspect que le réaménagement " devra prendre en compte " comme l'admet volontiers la bourgmestre Lydie Polfer), le périmètre d'intervention (1,4 ha) ne se limite pas à la seule Gëlle Fra.


Le projet comprend également la terrasse du service d'éclairage de la ville, qui jadis accueillait la sœur jumelle de la Gëlle Fra qui avait tant fait jaser, le parvis de la cathédrale et ses escaliers ainsi que le square qui accueille le monument en souvenir aux victimes de la Shoah de Shelomo Selinger, à côté de la cantine d'État. Le périmètre de réflexion va lui " du Pôle Nord au ministère de la Culture " en passant par la rue Notre-Dame et les rues qui donnent sur le boulevard F. D. Roosevelt.


Le pavillon d'accueil pour les casemates viendra coiffer l'une des plus importantes attractions touristiques de la capitale (130.000 visiteurs par an). On y trouvera notamment une billetterie, un espace de vente, une petite restauration et des locaux sanitaires. L'ascenseur qui s'ajoutera à l'escalier existant (construit sous l'époque autrichienne) et par lequel on accède la vallée de la Pétrusse passera soit par le bastion Beck lui-même après une coupe transversale à effectuer (option privilégiée), soit par l'extérieur, à l'image de l'ascenseur panoramique du Pfaffenthal. Dans un cas comme dans l'autre, l'ascenseur en question devra être " conséquent " (Lydie Polfer) de manière à pouvoir à chaque fois transporter jusqu'à 10 piétons et 5 cyclistes. Le problème avec l'ascenseur panoramique étant les prescriptions de l'Unesco contre lesquelles un tel projet viendrait probablement se heurter.


Comme déjà remarqué, l'ampleur du périmètre d'intervention de l'architecte-urbaniste qui aura la charge de réaménager la place de la Constitution laisse penser que tout n'est pas sans espoir sur l'ancien " front de Thionville ", comme ce côté de la forteresse de Luxembourg s'appelait autrefois. Ira-t-on jusqu'à imaginer un " shared space ", reconnaissable à une couverture du sol uniforme où voitures et piétons se rencontreraient à pied d'égalité - quitte à risquer de répéter le scénario qui se présente rue Notre-Dame où ils se disputent la rue ? Cette option aurait pour le moins l'avantage de signaler que l'on se trouve en terrain partagé, sacré et consacré à la contemplation, à la promenade, à la respiration et à l'ouverture que représente le royaume de la vallée de la Pétrusse qui commence derrière les balustrades du boulevard et de la place de la Constitution.


Revenons à l'image d'une mer de forêt qui s'ouvre devant le visiteur et imaginons un instant le boulevard et la Gëlle Fra en digue, qui de la rue Notre-Dame descendrait jusque là où commence le vert et (pourquoi pas ?) embrasserait toute la longueur du boulevard, de la sculpture de Shelomo Selinger jusqu'au Casino Luxembourg - Forum d'art contemporain, dont l'aquarium signé Jean Prouvé mériterait une place dans le réaménagement prévu comme " showcase " du musée, tout comme la galerie nationale d'art dont rêve le premier ministre. Qui sait, peut-être qu'une telle perspective découragerait même quelques conducteurs de se risquer sur le boulevard, préférant le contourner à travers le tunnel du Saint-Esprit ?


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